[Arthur Forgeais, Collection de Plombs Historiés trouvés dans la Seine, Quatrième série: Imagerie Religieuse. Paris: Chez l'Auteur, 1865), pp. 28-9.]

 

NOTRE-DAME DE CHARTRES.

 

La sainte Vierge couronnée, la tête nimbée et tenant sur ses genoux l'Enfant Jésus, au nimbe crucifère, est assise sur une espèce de trône portatif, que deux clercs en marche (de gauche à droite) soutiennent sur leurs épaules; à ses pieds sont des personnages en prières. Au-dessus de la figure principale; on lit les restes de la légende suivante :

 

SIGNUM BEATE MARIE,

 

dont quelques caractères sont retournés.

 [p.29]


 

Revers.-Cette enseigne a pour revers deux clercs (ce semble) portant de droite à gauche une châsse. où l'on voit une tunique. Au-dessous de la châsse est figuré un denier chartrain, que l'on pourrait presque dire au type primitif, à cause des globules qu'on y remarque, à l'exclusion d'autres ornements accessoires.

La tunique, ou chemise de la Vierge, avait, dit on, été apportée de Constantinople en France, vers le commencement de la seconde . race, et donnée par Charles le Chauve, en 876, à l'église de Chartres, avec un voile provenant également de la mère du Sauveur. Lors du siége de Chartres par les Normands, en 911, ces reliques de la mère de Dieu furent arborées par l'évêque, et le peuple aimait à leur attribuer la défaite des enemis et la déliverance de la ville.

 

Cet évêque était Gantelme. et c'était lui-même, dit un vieil auteur,

 

Qui portoit la seinte chemise

Por defense et por ganantise,

Avecques un autre bannière

Qui du voile de la Vierge yère.

 

La tunique, le voile, etc., demeurèrent là jusqu'à la Révolution, époque où les antiquaires nationaux constatèrent, sans préjugés, que le tissu avait tout l'air d'être syrien et de remonter à plus de mille ans.

Mais on pourrait se demander ce qui avait fait choisir la ville de Chartres pour un tel dépôt. C'est que, d'après une vieille relation chère aux Chartrains, leur cathédrale s'élevàit sur l'endroit même oùles druides auraient dédié un oratoire A LA VIERGE QUI DEVAIT ENFANTER (Virgini parituræ).

 

Vers l'époque où fut exécuté le plomb qui nous occupe, la dévotion à Notre-Dame de Chartres avait dû être singullièremellt ravivée par l'effort populaire qui venait de faire sugir la grande cathédrale de cette ville sous Philippe Auguste. M. Léopold Delisle, en publiant, il y a deux ans, la lettre latine d'Aimon sur la construction de Saint‑Pierre‑sur‑Dive (1145), n'a l as dissimulé que Chartres avait été la première ég1ise ou l'on vit les fidèles s'atteler à des chariots remplis de pierres, de bois, de grains, et de tout ce qui pouvait servir aux travaux de la cathédrale. “Jamais, dit l'auteur cité par M. L. Delisle, on ne reverra pareil prodige. L'enthousiasme gagna, pour ainsi dire, toute la France et la Normandie. Partout on s'humiliait, partoit on faisait pénitence, partout on pardonnait à ses ennemis. De tous côtés, on voyait les hommes et des femmes traîner de lourds fardeaux a travers des marais fangeux[1]

 

«C'est à Chartres, écrit Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen, que les hommes, par esprit d'humilité, ont commencé á traîner des charettes et des chariots pour aider à la construction de la cathédrale….. Les confrères se donnent un chef à la [p.31] voix duquel tous, soumis et silencieux, traînent sur des. charrettes les offrandes qu'ils portent aux églises, et qu'ils sanctifient par leurs larmes et leurs mortifications. Pleins de confiance en la bonté de Dieu, ils se font accompagner de leurs malades, qui, souvent, reviennent guéris de toutes leurs infirmités.[2]»

 

Le concours était tel que des donateurs ne parvenaient pas .à garner l'autel prineipal pour y déposer l'acte de leur concession.  M. L. Delisle fournit à ee sujet des renseignements utiles qu'il faut lire dans son important opuscule.

 

Cette célébrité ne diminua pas avec le temps. Les pèlerins affluèrent de toutes parts dans l'eglise où était le siége de ce culte spécial envers Marie. La châsse contenant les reliques était exposée à la vénération des fidèles, aux prineipales fetes de l'année. On raeontait de NOTRE‑DAME DE CHATRTRES quantité de miracles. Suivant Froissard, la paix de Brétigny, en 1360, lui serait due, en ce sens que, pendant que le roi d'Angleterre, Edouard III, quelque temps après la capture du roi Jean le Bon, se trouvait avec son armée aux environs de Chartres, et ne savait encore s'il ne se déciderait pas à poursuivre les hostilités, “un orage si grand et si horrible, écrit le chroniqueur, descendit du ciel en l'ost du roi d'Angleterre, qu`il sembla bien proprement que le siècle dût finir, car il chéoit de l'air des pierres si grosses qu'elles tuoient hommes et chevaux, et en furent les plus hardis étahis, et adonc regarda le roi d'Angleterre devers l'église de Notre-Dame de Chartres, et se rendit et voua à Notre-Dame dévotement et promit, si, comme il dit et confessa depuis, que il s'accorderait à la paix.”

Il existe aux archives de Chartres un vidimus de la relation l'un fait qui prouve combien la relique de Notre-Dame de Chartres [p32] était célèbre par tous les pays. Le comte de Soissons, fait  prisonnier par les Turcs, en 1390, à la bataille de Nicopolis, était emmené par eux et cruellement traité. Il se souvint de la relique de Chartres, et promit à la Vierge 600 florins d'or à la couronne, s'il était délivré. La troupe qui l'emmenait fut aussitôt attaquée, vaincue et de prince délivré.

 

M. E. Cartier, dans une notice[3] à laquelle nous avons emprunté quelques détails, considère le type de la monnaie de Chartres comme une représentation plus ou moins nette des reliques auxquelles les habitants avaient rapporté le salut de leur ville assiegée par les Normands.

 

Notre enseigne, où l'on voit le denier ehartrain au-dessous de la tunique de la Vierge, aurait sans doute fourni au savant antiquaire, s'il l'avait connue, de nouveaux arguments en faveur de son aperçu qui a surpris plus d'un numismatiste. Nous devons, pour notre part, nous borner à rappeler les recherches de M. Cartier, et apporter dans la discussion le nouveau témoignage de cette même enseigne que nous ferions volontiers remonter au XIIIe siècle, et de celle un peu moins ancienne qui suit.

Ce plomb historoque a été trouvé au pont Notre-Dame, en 1862.

Aux angles de l'enseigne sont placés des annelets pour la fixer, soit sur le vêtement du pèlerin, soit sur son couvre‑chef.


[1] Bibiothèque de l'École des Chartres, 5e série, tome Ier.

 

[2] [p. 31, note 1] Bibliothéque de l'École des Chartres,loc. cit. Voir le livre des Mirac1es de Notre-Dame de Chartres...par Jean de Marchant (XIIIe siècle). Chartres, 1855.

 

[3] [p.32, note 1] Recherches sur l'origine des types des monnaies chartraines, insérées dans le premier volume des Mélanges d'archéologie, publiées par les pères Ch. Cahier et Arthur Martin.